top of page
entête.jpg

Mon père Adonaï Bernardin et ma mère Angèle (suite)

Angèle, comme toutes les femmes de cette époque, rinçait les couches à la rivière. C’est une autre raison pour laquelle les gens se construisaient le long des rivières, pour profiter des petits services que la rivière pouvait leur rendre. Je me souviens qu’à l’âge de six ans, je jouais derrière la maison chez nous avec Georges Bouchard (Porky). La mère arrive avec son seau de linge à rincer. Elle s’avance sur le quai (madrier du petit pont, 12 pouces de largeur), s’accroupit pour rincer et se relève pour tordre le linge, après quatre ou cinq fois de cet exercice, elle perd l’équilibre et tombe sur le dos, de toute sa longueur, dans deux pieds d’eau. Nous voilà, Georges et moi, pouffant de rire, et tout ce temps-là, la mère se retirait laborieusement de ce lieu, très humiliée. Je me souviens que nous avions été disputés sévèrement, mais c’était trop drôle pour laisser passer cela et elle le savait.

 

Toutes ces situations-là demandaient de l’ingéniosité de la part d’Angèle et de toutes les autres femmes dans la même situation. Alors, elles passaient l’automne à faire de la mise en conserve de rhubarbe, de fruits sauvages, de prunes du jardin, de pommettes du jardin; ensuite de petits pois, de fèves, de carottes, de tomates, de jus de tomates et de cornichons, parfois de la choucroute. Les cornichons étaient aussi faits dans un croc ancré avec un couvercle en bois, tenu sous pression par une roche dans le but de tenir les concombres dans la saumure.

 

Il ne faudrait pas oublier non plus les lavages du lundi. Je ne sais pas si je peux rendre justice à la situation, mais je peux essayer d’écrire ce qui se passait. Déjà, le dimanche, il y avait beaucoup de linges sales accumulés durant la semaine et le lundi matin, après que les hommes étaient partis pour faire leur journée de travail et que tous les enfants avaient débarrassé la maison pour aller à l’école, c’est là que la mère s’installait dans la grande cuisine, faute d’espace ailleurs. Elle faisait chauffer de l’eau sur le poêle à bois tout de suite après le déjeuner, la laveuse prenait sa place dans le milieu du plancher et tout se mettait en marche. Le linge trié par terre laissait déjà prévoir la longueur de la journée. Premièrement, il fallait faire bouillir les mouchoirs, les couches déjà rincées, etc. Les laveuses, qui étaient activées par un bras en bois, étaient à la main. Je me souviens de les avoir vues souvent en été. Il y en a qui pouvaient se payer un moteur à essence ou au kérosène, mais il fallait être dehors à cause de la senteur, et cela compliquait les choses. Aussitôt que l’électricité est arrivée, tout le monde s’est procuré une machine à laver électrique. Il faut se rendre compte que ce n’était pas simple comme aujourd’hui. Le linge lavable nécessitait beaucoup plus d’attention qu’aujourd’hui. C’étaient les mères et les filles qui étaient prises avec ce travail. De temps en temps, les hommes qui se trouvaient à la maison offraient leur aide afin de ne pas passer pour des sans-cœurs. Après tout cela, pour se reposer, Angèle s’assoyait dans sa chaise berceuse et raccommodait les fameux bas de laine qui, malheureusement après une journée d’usage, étaient encore troués, et c’était toujours à recommencer.

 

Angèle recevait aussi des requêtes pour reprendre un morceau de linge et pesait le pour et le contre des demandes. Pour moi, c’était de me faire une veste dans du vieux pour des courses à l’église, pour servir la messe, mais surtout pour retourner à l’école et faire face à tout ce monde, surtout les filles de ma classe.

 

Ma mère avait déjà remarqué ma fierté et s’appliquait pour qu’il soit acceptable. Elle ajoutait un petit bouton aux manches, une ganse à l’arrière, etc. Les fermetures éclair sont arrivées en dernier et elles remplaçaient les boutons. Il y avait toujours le même problème, et ça, c’était le collet! La pointe du collet à gauche tournait toujours vers le haut et je devais le replacer chaque fois. J’ai tout compris quand j’ai vu ma mère le faire une fois. Le collet est cousu à l’envers et ensuite viré à l’endroit, alors la couture donnait toujours les mêmes résultats. Même là, on devait penser que je me prenais pour Napoléon Bonaparte avec la main sur le cœur et sur mon collet en même temps.

 

J’ai trouvé une autre photo des bernaches qui posaient avec ma mère sur le perron de la maison. Malgré tout ce qu’elle avait à faire, elle trouvait du temps pour elle-même. De bonne heure le matin, souvent, elle se trouvait dans le milieu du jardin avec sa pioche. Malheur aux mauvaises herbes. Quelquefois, elle avait des maux de tête. Elle se faisait un bandeau et se l’attachait très serré autour de la tête. Après un bout de temps, elle disait qu’elle pouvait repousser son mal de tête. Des fois ça durait deux ou trois jours. Dans ces moments-là, le matin de bonne heure, elle en profitait pour échanger avec ses amies, premièrement, les deux bernaches, qui l’attendaient sur le perron chaque matin. Après qu’elles avaient eu l’attention voulue, elles retournaient à la rivière parmi les écureuils, de différentes couleurs, qui se tenaient le long de la rivière La Salle, noir, brun, roux, etc.

 

bernaches.jpg

Il y avait aussi une pie qui venait faire son tour. Pour la faire venir sur le perron, Angèle n’avait seulement qu’à l’appeler : « Maggie, Maggie », et en peu de temps, elle était là. Les pies aiment les choses qui brillent, alors un beau jour, Maggie a apporté une surprise à Angèle. Elle lui a apporté un beau stylo, rare dans ce temps-là. Angèle le regarda attentivement et s’aperçut que le nom sur le stylo était celui de Lionel Bouchard. Après l’avoir appelé au téléphone, Lionel s’exclama justement qu’il cherchait son stylo. Il demeurait à environ deux kilomètres de chez nous.

 

Je me souviens, à l’âge de sept ou huit ans, que ma mère, qui cherchait toujours à offrir son aide, a su que Matante Pitoune n’était pas bien. Matante Pitoune était mariée à Archile Plamondon qui travaillait à Dacotah, à six kilomètres d’Élie, sur le chemin de fer. Elle enjôla Raymond et le fit atteler Prince sur le traîneau, et sur l’insistance de Louis, ils se rendirent à Dacotah pour y passer l’après-midi. Le froid faisait tout son possible pour traverser la peau de vache qui nous couvrait du nez jusqu'aux pieds. Le fouet était toujours là, battant au vent, mais Prince nous a fait honneur par sa vitesse et sa volonté de rejoindre l’étable chaude qui l’attendait.

 

Avec toute la bonté qu’Angèle pouvait démontrer, elle ne pouvait pas endurer la souffrance chez les animaux. Par exemple, chaque automne, il y avait toujours des chats errants qui arrivaient chez nous et qui passaient leur temps à miauler, à longueur de journée, sur le perron. Alors, ceci l’ennuyait. Elle nous attendait et à notre retour de l’école, elle nous faisait mettre les chats dans un sac attaché et on allait le lancer aussi loin que l’on pouvait dans la rivière.

 

Je me souviens d’un autre épisode où Fleurette et moi marchions vers le pont de perches pour exécuter un autre meurtre. Aussitôt fait, Fleurette et moi nous sommes retournés vers la maison avec un sentiment de bourreaux et d’exécuteurs. À notre grande surprise, arrivés à la maison, le fameux chat était assis sur le perron, il léchait son poil mouillé et nous regardait avec un air inquisiteur. Nous n’avions pas osé prendre un bon sac, alors le chat avait tout simplement grugé le sac et en était sorti pour revenir à la maison.

Liste_de_tous_les_articles_d'Une_famille
bottom of page