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Mon père Adonaï Bernardin et ma mère Angèle

On me dit qu’Adonaï a rencontré Angèle Dupuis lors d’une cérémonie quelconque.

 

Les Sarrasin et les Dufresne de St Barthélemy se rencontraient souvent chez les Dupuis de Saint-Jean-Baptiste au Manitoba. Léa Bernardin, fille d’Élie Dufresne, avait épousé un Sarrasin. Ces mêmes gens se rencontraient soit à Saint-Jean-Baptiste, soit à Saint-Joseph ou à Élie au Manitoba. Ces visites entre Élie et Saint-Jean-Baptiste se multiplièrent au point où Jeanne, sœur d’Angèle, épousa Magloire, frère de Bé Adonaï, ils s’installèrent ensuite à Élie dans la maison du grand-père Louis pour un modeste loyer dans les années 1920. Quand Jeanne était malade, Angèle venait l’aider, elle et ses enfants.

 

À un moment donné, Adonaï s’est acheté une Harley-Davidson et à chaque occasion qu’il pouvait trouver, il se rendait chez Adélard et Louise Dupuis pour visiter leur fille Angèle, la quatrième de huit enfants.

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Après son mariage, le 1er février 1921, Angèle devait se sentir chez elle en laissant les rives de la rivière Rouge pour s’installer à quelques pieds de la rivière La Salle à Élie.

 

Angèle et Adonaï ont eu 12 enfants. Le plus vieux, Marcel, est né en novembre 1922. Ensuite vint Raymond, né le 7 février 1924 et décédé le 13 mai 1982, suivi de Fernand, né le 26 juin 1925 et décédé le 31 décembre 1995. Laurette, née le 9 octobre 1926, Denise, née le 15 avril 1928 et décédée le 24 décembre 1934, l’année où j’ai vu le jour. Lucette, née le 15 septembre 1929 est décédée le 2 juin 1985. Fleurette, née le 18 avril 1931, Marthe, née le 2 mars 1933 et Louis, né le 18 juillet 1934. Yvonne, née le 18 novembre 1935, Idola, née le 28 novembre 1936 et Georges, le 8 février 1938.

 

La coulée qui se jetait dans la rivière venait de loin. Elle faisait comme un grand cercle et laissait la maison et l’étable comme sur une île. Quel cauchemar d’élever une famille de douze enfants, sept garçons et cinq filles, près de ces torrents au printemps, ces rives vaseuses en été et ces grands trous qu’il fallait faire pour couper la glace afin de la vendre en hiver.

 

Adonaï donnait à Angèle tout le nécessaire afin qu'elle puisse élever sa famille, mais il était souvent parti loin de la maison pour aller travailler. Je suis certain que les plus vieux, Marcel, Fernand et Laurette, l’ont toujours aidée et ont pris chacun leur part de responsabilités nécessaires pour élever une famille nombreuse et grandissante. Mais même dans ce cas-là, c’était elle la responsable de la maisonnée à titre de mère de famille.

 

Elle dirigeait et participait aux travaux des champs, elle était maîtresse de son jardin et agissait à titre de conseillère pour les femmes des alentours qui, elles, en retour, propageaient sa sagesse. La journée commençait par la traite des vaches ce qui incluait : les soigner, les faire boire, nettoyer le fumier; ensuite le poulailler, la cueillette des œufs, leurs besognes quotidiennes, quoi. Ensuite, c’était le déjeuner, la préparation pour l’école. Finalement, le silence en lavant la vaisselle et en planifiant le repas du midi et du soir.

 

Adonaï avait acheté, avec de l’argent emprunté, un morceau de terre (quatre-vingts acres) tellement sale qu’on aurait pensé que son prédécesseur l’avait ensemencé avec un assortiment de graines de mauvaises herbes : c’est ce que nous appelions des agrains. Angèle, sans savoir ce qui lui pendait au bout du nez, avait déjà l’œil sur les trois acres de l’autre côté de la coulée pour son jardin.

 

Après ces étés assez mouvementés et les récoltes engrangées, pour raccourcir les longs hivers, le père allait souvent en Californie avec ma mère pour rejoindre ses deux frères et ses deux sœurs qui étaient bien installés aux  alentours de Los Angeles, surtout dans les dernières années à l’approche de leur retraite. Ils nous revenaient reposés et prêts pour une autre année de travail.

 

Au fur et à mesure que les années passaient, et que la famille grandissait, les responsabilités de tous les jours changeaient de mains entre les enfants afin de pouvoir faire face aux responsabilités qui n'en finissaient pas.

 

J’étais pour dire qu’elle était organisée pour pouvoir accomplir toutes ces tâches-là, mais je me corrige. Il fallait qu’elle s’organise, car elle n’aurait pas vécu jusqu’à 71 ans. Comme dans bien des cas de familles nombreuses, il y avait des malades et des infirmités qui apportaient un surcroît à la mère de famille. Chez nous, c’était Denise qui est venue au monde avec une grosse tête d’eau. Je crois que le terme médical pour cette maladie est encéphalopathie. Elle est morte l’année où je suis né, à l’âge de six ans (1928-1934). C’était peut-être par permission spéciale parce qu’Angèle en avait beaucoup à faire. Une autre occasion où j’ai vu Angèle avoir de la peine, c’était un samedi. Angèle, Fleurette et moi étions en train de casser du grain, en d’autres mots, faire la moulée. Nous étions tous blancs comme de la neige (poussière de farine). Un messager de chez les voisins Bouchard, Marcel, est venu transmettre un message à Angèle. Pour que Marcel se soit dérangé pour venir dans un temps pareil, ça devait être sérieux. Quand on lançait le casseur à grains, c’était pour de bon et pour en finir. La mère s’est mise à pleurer et ses larmes qui descendaient le long de son visage lavaient cette poudre blanche sur ses joues. On venait pour lui annoncer que son frère Albert, surnommé Pitou, avait été tué à la chasse. Pitou marchait entre deux de ses frères au travers d’un champ ouvert, et sans carabine, car il n’était pas chasseur.

 

Un étranger au loin s’était mis sur un seul genou et avait tiré avec sa carabine de chasse au milieu des trois. Je n’en sais pas plus long. Étant jeune je n’avais pas posé de questions.

 

Le vendredi, avec son programme chargé, il fallait qu’elle trouve du temps pour faire une cuisson de pains, une douzaine au moins. Quand on arrivait de l’école à la course, on pouvait se régaler d’une bonne tranche de pain frais couvert d’une couche de crème épaisse (la crème fermière), et y laisser fondre également une couche de sucre brun. Pliée en deux pour ne rien perdre, on mangeait une de nos récompenses de la semaine, mais jamais deux, car il fallait se garder de la place pour le souper. C’était aussi pour nous faire oublier notre semaine en classe et nous préparer pour notre fin de semaine. Je dois vous avouer que ça valait la peine. Nous n’avions pas de fruits hors saison, nous n’avions pas de bonbons, ou très rarement. Si nous n’étions pas trop pressés, le sucre brun fondait dans la crème et nous pouvions en ajouter une autre couche en faisant bien attention de ne pas en échapper. Ça, c’était bon! Inoubliable! Je peux encore le voir et y goûter. Ça dépasse tout ce que les jeunes d’aujourd’hui peuvent manger.

 

Il ne faut pas oublier que dans ces années-là, il n’y avait pas de sacs en plastique ni de contenants en plastique pour mettre de côté les restants. Pas de congélateur à réfrigération élevée. Alors les restants importants comme la crème, le lait et le beurre étaient descendus dans une glacière qui était en fait un puits ouvert d’une quinzaine de pieds de profondeur, souvent creusé tout près d’une rivière pour avoir un échange d’eau, et c’est là que nous gardions les aliments pour quelques jours.

(Suite au prochain numéro)

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