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Mon père, Adonaï Bernardin

 

Lorsque son père décida de déménager à Los Angeles avec deux de ses garçons, Alphonse et Willie, Adonaï a choisi de demeurer à Élie et de continuer à travailler sur la ferme et dans la construction.

 

Le père était débrouillard, en plus d’être plutôt adroit et homme d’affaires. Par exemple, il entreprit de construire un pont au-dessus de la rivière La Salle, qui fut une réussite.

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Je me souviens vaguement que le père avait bâti un appui sur le parechoc arrière du Model A Ford pour bien y attacher son coffre d’outils, et il est allé se trouver de l’emploi à Vancouver. Il se rendit à Port Moodie et là, il trouva un contremaître qui s’occupait de réparer les quais. Quand le père s’aperçut qu’il fallait faire compétition avec une centaine d’hommes, il s’approcha du contremaître et lui proposa de travailler pour lui pendant une semaine gratuitement. Et après, s’il était satisfait, il lui donnerait un emploi. Après un hiver fructueux, il revint au Manitoba et reprit sa routine manitobaine.

 

Il me semble qu’on m’a déjà dit que le père pouvait sauter la barrière de l’enclos devant l’étable chez-nous, en plaçant un madrier contre la barrière et d’un seul coup passer par-dessus avec sa motocyclette. Peut-être qu’avec un élan pareil il pouvait se rendre à Batisse plus vite!!!

 

Adonaï s’est aperçu très vite que même s’il avait aidé et encouragé l’établissement du Manitoba Wheat Pool dans la région, il fallait plus que cela pour survivre et il cherchait une cash crop. Alors il a réussi à survivre avec la semence de millet pour les animaux l’hiver et le blé enregistré qu’il vendait pour la semence en Europe. Le blé enregistré dans les années entre 1945 et 1950 se vendait cinq dollars le minot. Il fallait que ce blé dur soit nettoyé très méticuleusement. Le criblage ne pouvait enlever le king head, une toute petite graine qui était très difficile de séparer du grain. Avant les récoltes, il fallait donc marcher au travers de tous les champs et ramasser ces plantes, une par une, et les entasser au bout de chaque rang pour être brûlées.

 

Avec ces quelques dollars, il pouvait se permettre de cultiver un champ de betteraves à sucre qui demandait beaucoup plus de main‑d’œuvre et d’équipement, mais au bout du compte, la récompense était rapide et des paiements pouvaient nous venir avant Noël. Quand la famille était jeune, je me souviens qu’à l’arrivée de notre père, après trois semaines ou un mois de travail dans le Nord, nous allions nous cacher sous les lits (du moins, c’est ce que je me rappelle) dans les chambres à coucher en haut. De plus, il faut se rappeler que les aspirateurs n’existaient pas en ce temps-là, alors on trouvait beaucoup de minous sous les lits.

 

Un automne, voulant superviser l’ouvrage de Raymond, faute d’avoir de l’expérience lui aussi, le père se rendit aux dix acres tout près de la famille Medwiduck pour s’assurer que tout allait bien avec le fauchage d’une parcelle de la terre à blé.

 

La Fordson attelée sur la faucheuse, Raymond avait fait plusieurs tours quand soudainement l’engin fit un saut pour envoyer le père dégringoler et retomber à cheval sur l’arbre de transmission. En une fraction de seconde, le père n’avait plus un seul morceau de linge sur le dos. Seulement ses souliers étaient intacts. Même ses bas étaient arrachés et entortillés autour de l’arbre de transmission. Miraculeusement, il n’était pas blessé, mais il a eu la frousse de sa vie.

 

Chaque année, nous gardions des abeilles bien logées aux quatre-vingts à l’abri des saules. C’était un passe-temps pour mon père. Au début de l’été, il fallait installer nos nouvelles abeilles dans leurs ruches bien nettoyées. Et avant la venue des fleurs, il fallait les soigner avec du sirop et surveiller pour que chaque ruche ne tue pas la reine, car cela causerait un vrai désarroi. C’est nous qui, très souvent, étions pris pour nettoyer les ruches et les cadres pour éviter la maladie. Il fallait les gratter avec un couteau à mastic et ensuite les désinfecter avec la torche à soudure. Une année, sans demander à personne, les inspecteurs du gouvernement avaient mis le feu à toutes nos ruches à cause de cette fameuse maladie. Nos voisins apiculteurs ont subi le même sort. Ce n’est pas que les abeilles demandaient beaucoup de temps, mais il fallait être là quand elles demandaient de l’attention. Au début, il fallait les visiter deux fois par semaine, ensuite, une fois. Quand tu voyais une nuée d’abeilles au-dessus des ruches, tu savais que la reine était morte et qu'il fallait la remplacer. Le père était habitué et savait quoi faire. Chaque automne, on plaçait du poison à l’entrée de chaque ruche, on la couvrait avec une toile et après quelques minutes, le tour était joué. On creusait un trou dans la terre et on brassait chaque ruche pour faire tomber les abeilles mortes afin de les enterrer.

 

Il y a des apiculteurs qui gardaient leurs abeilles dans un local refroidi pour l’année suivante, mais ça, c’est une autre histoire pour un autre moment. Mon père trouvait que ça prenait trop de temps et trop d’attention pour ce que ça donnait. Le miel était un aliment important pour toute la famille chez-nous. Quand nous étions sept ou huit qui allaient à l’école, il fallait, chacun à notre tour, rentrer un bocal de miel de quatre livres le soir et le déposer sur le réchaud du poêle à bois, afin qu’il soit mou pour le déjeuner du lendemain. Nous pouvions manger un bocal complet en un seul déjeuner, alors c’était important de ne pas l'oublier; non seulement c’était dur sur les couteaux, mais c’était dangereux de se faire étrangler par les autres membres de la tribu.

 

Un intérêt vraiment exceptionnel qu’avait mon père, maintenant que j’y pense, était l’éducation. Je ne sais pas si c’est le fait qu’il travaillait à la construction d’écoles et qu’il était en étroite collaboration avec les inspecteurs du gouvernement qui l’a intéressé à devenir le secrétaire-trésorier pour la Division scolaire d’Élie, pendant une bonne vingtaine d’années. Quoi qu’il en soit, il a pu apporter beaucoup de bienfaits au bénéfice de la Division scolaire d’Élie en étant lié de très près aux inspecteurs du gouvernement. Les réunions avec les commissaires scolaires avaient lieu le plus souvent dans la cuisine chez-nous. C’est peut-être là que j’ai commencé à m’intéresser à la politique quotidienne, car je trouvais les conversations très intéressantes. Dans le conseil, il y avait Aimé Bouchard, Hector Désilets, le père, Jos Barrette, Oris Aquin et d’autres personnes. Un des points importants qui se discutait autour de la table était le salaire des institutrices, les Sœurs de Notre-Dame-des-Missions, je me souviens qu’elles gagnaient 25 $ par mois.

 

Je ne me rappelle pas s’ils avaient augmenté le salaire de 25 $ à 30 $ par mois, mais je me souviens que pour un homme qui ne sacrait pas, mon père avait quand même dit « bâtard », son juron préféré, et il me semble que c’est après cela que la décision avait été prise en faveur des sœurs. Ensuite, il lui a fallu convaincre ses acolytes que des balançoires dans la cour de l’école étaient nécessaires ainsi que des bâtons et des balles molles : un ensemble pour les filles et un ensemble pour les gars.

 

Pour s’amuser un peu, quand mon père jouait au curling avec son ami M. Charles Payment, au lieu de viser le balai, il s’amusait à viser la jambe gauche et parfois la droite pour tromper l’adversaire.

 

Mon père a subi un malaise cardiaque plus sérieux que d’habitude. Âgé de plus de quatre-vingts ans, il fut hospitalisé, il avait aussi un anévrisme qui était inquiétant. Le chirurgien lui conseilla de subir une intervention. Lors d’une de mes visites, il me confia qu’il ne voulait pas prendre ce risque. Avec mon encouragement, il prit la décision de rentrer à la maison sans subir d’opération chirurgicale. Il est décédé le 23 novembre 1989, à l’âge de 93 ans.

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