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Raymond Lemoine nous offre un regard à la fois naïf et franc d’enfant, et celui sensible et
teinté de mélancolie d’un homme d’âge mûr sur son enfance à Sainte-Agathe, au Manitoba.

La messe du dimanche

La messe allait finalement commencer. Les premières notes graves et vibratoires de l'orgue nous faisaient toujours sursauter, surtout à ceux parmi nous qui s'étaient laissés emporter par de petites somnolences. La paroisse de Sainte-Agathe avait acquis un de ces immenses orgues à vent qui faisait vibrer l'église toute entière, jusqu'aux entrailles des paroissiens eux-mêmes. J’ai toujours pensé que, lors de mon arrivée au ciel, si jamais je m'y rendais, les nobles consonances d'un orgue semblable accueilleraient mon entrée aux saintes portes du bonheur éternel. Le rôle d'organiste était confié à Mlle Émilienne Dumenils, institutrice à l'école Sainte-Agathe les jours de semaine, pianiste en vedette au piano‑bar de l'hôtel Saint-Norbert à tous les samedis sur deux. Après la brève introduction de Mademoiselle Dumenils, nos oreilles subissaient les discordances de la chorale paroissiale, groupe composé principalement des Dames de Saint-Anne.

 

Cet introït marquait le début officiel de la messe et à ce moment, nous devions tous nous lever afin de recevoir le long cortège des principaux constituants de la célébration liturgique. Ceux-ci faisaient la file d'après une sorte de hiérarchie liturgique et représentaient les piliers de la paroisse. L'absence de femmes était à la fois absolue et flagrante.

 

Le porteur de croix, un enfant de chœur, se trouvait à la tête du défilé. Il avait mérité cette place d'honneur et devait, avant tout, garder une mine sérieuse et pieuse. Malheur à celui qui succombait à un moindre sourire, car il serait banni indéfiniment des rangs prestigieux de porteurs de croix. L'impressionnante procession des enfants de chœur faisait suite. Tous vêtus de soutanes noir et blanc, ils devaient aussi maintenir un air digne et pieux, tout en gardant les mains jointes devant eux en position de prière; c'est-à-dire, il ne fallait surtout pas se gratter nulle part. Les lecteurs et les acolytes suivaient pour enfin faire place au personnage principal, Monsieur le Curé, qui porterait dorénavant, pour la durée de la messe, le nom de prêtre.

 

Le prêtre était un véritable char allégorique en lui-même. Entouré de ses servants de messe, son apparition avait parfois une allure quasi céleste à cause du contraste entre la multiplicité des couleurs de sa chasuble et les soutanes blanches des servants. L'assemblée attendait son arrivée comme l'on anticipe le père Noël à la fin de la parade du magasin Eaton. En plus, si l'on était assez chanceux pour avoir un banc près de l'allée centrale de l'église, on pouvait parfois recevoir une goutte ou deux d'eau bénite que le prêtre aspergeait sur ses fidèles durant sa marche d'entrée. Le défilé dominical durait environ dix minutes et il était toujours bien impressionnant. Jusqu'au jour où je pourrais faire partie du spectacle, je devais me contenter du rôle de simple spectateur.

 

Cette procession d'entrée faisait que l'introït pour moi était la partie la plus intéressante de la messe. Suite à l'entrée, il me semblait qu'il ne se passait pas grande chose. La messe elle-même est devenue pour moi un pensum obligatoire que l'on devait assister afin de gagner son ciel. La chorale qui faussait, l'interminable sermon du prêtre, les lectures mal lues, et les prières apprises et radotées sans sincérités, tout cela contribuait à ma perspective négative de la messe. Heureusement, il y avait la communion où l'on pouvait bouger un peu et changer le mal de place.

 

Même à un très jeune âge, j'avais décidé que c'était une drôle de manière de rendre hommage à Dieu. Quoique les sœurs du couvent se référaient au prêtre pour être le célébrant de la messe, je n'arrivais jamais à voir la corrélation entre la messe et une célébration. Cependant, je réalisais que mes opinions n'étaient point correctes et même quasiment un sacrilège. Je n'osais pas en parler à personne, surtout pas à mon père.

 

Bien que la messe représentait le moment et le lieu où nous devions louanger le Seigneur, c'était aussi l'évènement social de la semaine où les gens se rencontraient sur le perron de l'église après la messe. Là, ils échangeaient les dernières nouvelles et partageaient les plus récents commérages. Aussi, c'était l'occasion de voir de plus près les dernières acquisitions vestimentaires de chacun, les nouveaux achats que l'on avait sans doute faits le jour d’avant, lors du voyage hebdomadaire en ville. Très souvent, ce rassemblement social sur le perron de l'église durait plus longtemps que le service religieux qui l'avait précédé.

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