Raymond Lemoine nous offre un regard à la fois naïf et franc d’enfant, et celui sensible et
teinté de mélancolie d’un homme d’âge mûr sur son enfance à Sainte-Agathe, au Manitoba.
Perdu dans les limbes
Il va sans dire que de toutes les matières que nous devions subir à l'école, la catéchèse se trouvait parmi celles où je réussissais le mieux. Bien que mes notes de catéchisme dans mon bulletin scolaire m'aient apporté beaucoup de louanges à la maison, j’ai eu également beaucoup de retombées concrètes advenant de mes prouesses spirituelles. J'étais souvent le lauréat de prestigieuses images saintes.
Ces récompenses convoitées, habituellement distribuées aux premiers de classe du cours de catéchèse, représentaient aussi un trophée décerné aux méritants d'une bonne performance lors des fréquentes excursions à l'école de Monsieur le Curé. Afin de gagner l’une de ces médailles en papier, il fallait adhérer à un certain code de conduite durant la visite sacerdotale. Entre autres, le maintien du calme et du silence à tout prix figurait au premier rang. Il fallait s'assurer que nos mains soient bien en évidence sur la surface de notre pupitre, préférablement les doigts entrecroisés pour donner l'allure que nous étions dans un état constant de prière. Bien entendu, il fallait aussi correctement répondre aux questions de Monsieur le Curé. J'en étais rendu à être le meilleur de la classe et mes interprétations allégoriques des mystères de la religion catholique impressionnaient sans doute le roi spirituel de la paroisse et, par conséquent, notre sœur‑maîtresse.
Une fois le Saint-Père parti, la cérémonie de remise d'images saintes commençait et, en peu de temps, se transformait en un véritable synode. Bien fiers de notre comportement et de nos connaissances religieuses que nous avions témoignés auprès de Monsieur le Curé, la sœur, après la quasi-remontrance coutumière au sujet de la prééminence des bons catholiques qui connaissent à fond leur catéchisme, procédait à l'attribution générale d'images à tous les élèves, même à ceux qui, d'après nous les vrais connaisseurs religieux, ne le méritaient point. Cependant, cette générosité mal placée de la part de la sœur était dédommagée par une deuxième image attribuée à ceux qui avaient véritablement brillé durant la séance de questions. Je faisais partie de ce club sélectif et restreint.
En recevant notre deuxième image, et au son de quelques chuchotements de « maudit, une autre image » nous arrivant de quelques rangées derrière la classe, des paroles étouffées venant sûrement des mêmes vauriens non méritants qui avaient reçu une image lors de la première ronde de distribution, nous étions félicités pour nos grandes aptitudes religieuses ainsi que pour notre contribution à la bonne réputation de la classe. Une fois de plus, à cause de nous, la classe avait fait preuve de sa grande réceptivité au bon enseignement apostolique que notre professeur nous fournissait. Tout le monde était content; la sœur avait de nouveau conservé sa crédibilité comme étant une bonne propageasse de la foi, Monsieur le Curé retournait à son presbytère rassuré que l'école continuât à bien nourrir les enfants de la paroisse d'une éducation catholique et nous, les plus chanceux dans toute cette affaire, nous avions récolté plusieurs images.
Malgré mes maintes réussites à la catéchèse, mes lauriers ne m'ont jamais monté à la tête. En fait, j'ai toujours crédité mon succès au fait que j'avais une très bonne mémoire. À vrai dire, je n'ai jamais rien compris au catéchisme, mais j'ai toujours été apte à apprendre par cœur. De toutes les histoires, les paraboles et les mystères que nous réservait le catéchisme, rien ne m’intriguait autant que cette question des limbes, ce grand pacage où s’entassaient les bébés qui avaient eu la malchance de mourir avant d'avoir reçu le sacrement du baptême. J'avais conclu que ce lieu inconnu représentait le mystère des mystères de la religion catholique. Il me semblait que personne ne voulait en parler et, en effet, cette fuite subtile d'aborder le sujet des limbes aiguisait davantage mon désir d'en savoir plus. L'explication austère qu'offrait mon petit livre de catéchisme ne me rassasiait guère. Lorsque je questionnais mon père, il répondait toujours avec l'inévitable « Va donc d'mander à ta mère ». Ma mère, de son côté, se retrouvait toujours trop occupée à faire autre chose aussitôt que j’abordais le sujet et m'envoyait, elle à son tour, chercher la réponse chez mon père. L'ignorance parentale en ce qui concerne les limbes m'obligeait à chercher la réponse à l'école, mais j’ai vite constaté que ce sujet semblait autant tabou à l'école qu'à la maison. La sœur évitait le sujet comme la peste et, comme elle avait l'habitude de faire lorsqu'elle n'avait pas la réponse à une de nos questions, elle me suggérait d'en faire un projet de recherche.
Bien entendu, mon intérêt augmentait au fur et à mesure que je percevais la flagrante résistance des adultes à vouloir discuter de ce sujet mystérieux. Même lorsque j'avais questionné Monsieur le Curé lors d'une de ses visites paroissiales printanières, je sentis chez lui un certain malaise, mais il s'en sortit bien en me dirigeant vers mon petit livre de catéchisme où, d'après lui, je trouverais sûrement toutes les réponses. Hélas, j'avais fait le tour de toutes les références à ma disposition pour enfin me retrouver devant mon petit catéchisme, toujours assoiffé, mais sachant que je ne trouverais guère la réponse dans ce petit recueil brun de questions-réponses. Ce fut réellement un cas à faire appel à Saint-Jude et, dans cet état de découragement, l'idée d'écrire au pape m'était survenue. À mon avis, une très bonne idée, mais malheureusement, vite détournée par mon frère Richard. Celui-ci, l’aîné et le philatéliste de la famille, m'avertit en utilisant l'habituelle diplomatie qu'un grand frère devait prendre lorsqu'il adresse la parole à un frère benjamin, « Ben voyons donc, tu vas jama trouver un assez gros timbre pour que ta lettre se rendre à Rome, épa. » Mon idée s'était éteinte sans voir le jour et, par conséquent, se retrouva probablement elle-même dans les limbes.