Ces paroles inspirées de lectures, de rencontres, de réflexions et de sa propension à jeter un regard critique sur la société qui l'entoure, Guy les offre aux créateurs de musique à la recherche de textes significatifs.
« La chanson… c’est un vivant petit oiseau sensible et intelligent dont l’univers est la cour, il connaît et ressent tout mais en petit, c’est très parent avec le conte et la fable. » – Félix Leclerc
L’Équation du nénuphar d’Albert Jacquard, vous connaissez? Voici de quoi il s’agit :
« L’équation du nénuphar illustre bien le phénomène de la croissance dans un milieu fermé. Imaginons un nénuphar planté dans un grand lac qui aurait la propriété héréditaire de produire, chaque jour, un autre nénuphar. Au bout de trente jours, la totalité du lac est couverte et l’espèce meurt étouffée, privée d’espace et de nourriture. Question : Au bout de combien de jours les nénuphars vont-ils couvrir la moitié du lac? Réponse : non pas 15 jours, comme on pourrait le penser un peu hâtivement, mais bien 29 jours, c’est-à-dire la veille, puisque le double est obtenu chaque jour. Si nous étions l’un de ces nénuphars, à quel moment aurions-nous conscience que l’on s’apprête à manquer d’espace? Au bout du 24 ͤ jour, 97 % de la surface du lac est encore disponible et nous n’imaginons probablement pas la catastrophe qui se prépare, et pourtant nous sommes à moins d’une semaine de l’extinction de l’espèce… Et si un nénuphar particulièrement vigilant commençait à s’inquiéter le 27 ͤ jour et lançait un programme de recherche de nouveaux espaces, et que le 29 ͤ jour, trois nouveaux lacs étaient découverts, quadruplant ainsi l’espace disponible? Eh bien, l’espèce disparaîtrait au bout du… 32 ͤ jour! »
(Texte d'A. Jacquard, L’Équation du nénuphar, Calmann-Lévy, 1998).
Nous prenons le risque de disparaître, rien de moins. Pourquoi donc sommes-nous prêts à prendre un tel risque? Je ne suis pas le premier à y avoir pensé : orgueil et cupidité chez les uns, indifférence ou impuissance chez les autres. L’humain a bien quelques travers. Espérons que ceux-là ne lui seront pas fatals…
Rien de surprenant est inspiré de cette réflexion de Jacquard, ce généticien engagé, décédé en 2013. Nous réjouir de ce qui est, avoir la sagesse de ne pas le détruire, tel était le message de Jacquard et tel est aussi le sens de ce texte construit à la manière d’un poème, d’une fable. Est-il chantable? Je ne saurais dire…
Rien de surprenant
D’une source pure et claire
Une eau fraîche s’écoule
Les bêtes se désaltèrent
La nature se soûle
La rivière se déverse
Dans le fleuve nonchalant
Et les eaux se dispersent
Au fond des océans
Rien de surprenant
Rien de surprenant…
Dans le ciel tout bleu
Des oiseaux s’amusent
S’envolent deux par deux
Dans une danse confuse
Planent sur l’air tiède
S’arrêtent de temps en temps
Offrent en intermède
Les splendeurs de leurs chants
Rien de surprenant
Rien de surprenant…
Une terre féconde
Des jardins en folie
Des saveurs abondent
Et comblent les appétits
Des forêts hautes et denses
Une flore en furie
Profitent en silence
De Celle qui les nourrit
Rien de surprenant
Rien de surprenant…
Un soleil qui scintille
Et qui flambe son or
Fascine les pupilles
Affine les regards
Une beauté qui inspire
Nos âmes en chaleur
Arrachant un soupir
Aux battements de nos cœurs
De toi Belle Nature
Rien ne me surprend
Mais je voudrais conclure
En te le rappelant :
C’est moi la créature
De ton achèvement
Je suis par ma posture
Le plus intelligent
Et mes œuvres d’envergure
Le démontre aisément!
De répondre la Nature
Sur un ton éloquent :
Rien dans ta signature
Ne prouve ton talent :
L’eau fraîche se tarit
La terre est en lambeaux
L’air tiède s’épaissit
Le soleil brûle ta peau…
Pareille désinvolture
Me convainc maintenant
Qu’une sorte d’enflure
Étiole ton jugement…
De bien mauvais augures
Annoncent de grands tourments
Rien de surprenant
Rien de surprenant…