La femme-voyageur
Vers 1800, la traite des fourrures bat son plein à la baie d’Hudson. On a l’image d’explora-teurs bravant des territoires inconnus et hostiles. C’est un monde d’hommes. D’ailleurs, c’est en 1806 que la première femme européenne à venir à la baie d’Hudson arrive. C’est Marie-Anne Lagimodière née Gaboury, la grand-mère de Louis Riel.
À peu près en même temps arrive en 1806, à la baie James, Isabel Gunn alias John Fubbister. Elle veut venir en Amérique et se déguise… en voyageur!
Donc, un certain John Fubbister, ou si vous préférez Isabel Gunn, se fait engager à Londres par la Compagnie de la Baie d’Hudson pour venir travailler à la baie d’Hudson.
Source : Bibliothèque et Archives Canada
L’incursion d’Isabel Gunn dans l’histoire du Nord-Ouest est aussi brève que spectaculaire. À l’été de 1806, cette fille des Orcades, désireuse apparemment de suivre un amoureux infidèle, troque ses jupes pour des pantalons et se déguise en garçon. Elle signe un contrat avec la Compagnie de la Baie d’Hudson, comme travailleur, sous le nom de John Fubbister. Elle s’engage pour trois ans, au salaire annuel de 8 £. Arrivée à Moose Factory au sud de la baie James, côté Ontario, on l’amène, avec les autres travailleurs, à Fort Albany en amont de la baie James. Cependant, elle découvre que son amoureux est employé au poste d’Eastmain, de l’autre côté de la baie James, côté Québec, mais relevant de Fort Albany. Le journal de Fort Albany pour l’année 1806-1807 rapporte que Fubbister s’adonne activement aux tâches des employés de la compagnie, en particulier en aidant au transport des marchandises vers l’intérieur. Son identité, apparemment, reste secrète. Sauf qu’un certain John Scarth la connaissait depuis au moins un an. Ce dernier travaille pour la Compagnie de la Baie d’Hudson depuis longtemps, et est aussi un compagnon de traversée de Fubbister, à partir de Stromness dans les Orcades.
En 1807, un an plus tard, elle accouche.
À l’automne de 1807, Fubbister fait partie d’un convoi de trappeurs qu’on envoie hiverner à Pembina au Dakota du Nord, sur la rivière Rouge. Là encore, elle travaille à tout faire, aussi bien que les autres hommes. La fin décembre arrive et on se prépare à célébrer la nouvelle année. La coutume veut que les hommes des postes rivaux passent ensemble le temps des fêtes. Comme les hommes de la Compagnie de la Baie d’Hudson sont sur leur départ pour rejoindre ceux de la compagnie du Nord-Ouest dans leur poste, Fubbister ne se sent pas bien et demande à Alexander Henry, responsable du poste, la permission de rester dans sa maison. À un moment donné, on va chercher Alexander Henry lui disant qu’un de ses employés ne se sent pas bien et qu’il se tord de douleur.
Henry arrive et trouve Fubbister allongé devant le foyer, se lamentant d’une horrible façon. Et Henry décrit ainsi la scène : « Il tend ses mains vers moi et d’un ton pitoyable sollicite mon aide, me demande d’avoir pitié d’un pauvre malheureux, abandonné et sans secours, et qui n’est pas du sexe que j’avais toutes les raisons de croire. Qu’au contraire elle était une malheureuse fille des Orcades, enceinte et en train d’accoucher; en disant cela, elle ouvre sa chemise et me fait voir une magnifique paire de seins, ronds et blancs. » Moins d’une heure après, le bébé naît; on se dépêche et on amène la mère et l’enfant dans une carriole pour les ramener au poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson. On soupçonne Scarth d’être le père.
Comment John Fubbister a-t-il pu si longtemps cacher son véritable sexe, cela demeure un mystère; mais, une fois la vérité connue, John devient Mary. Au printemps de 1808, on l’envoie à Fort Albany. L’année suivante, on l’emploie comme laveuse, un travail tradition-nellement réservé aux femmes dans lequel elle n’a pas fait merveille. Peut-être aussi a-t-elle été bonne d’enfants dans l’école établie par la compagnie au fort cette année-là. Son fils reçoit le baptême des mains de l’instituteur William Harper, en octobre. L’agent principal de Fort Albany, John Hodgson, semble s’être montré sympathique envers la jeune femme, vu sa situation; elle ne voulait pas retourner aux Orcades, mais la règle de conduite adoptée par la compagnie ne permet pas à une femme blanche de résider dans aucun de ses postes. Aussi, en septembre 1809, on relève Isabel Gunn de ses services envers les « gentilshommes » de la compagnie et on la renvoie chez elle avec son fils, à bord du navire annuel. Elle n’a jamais revu l’amoureux en question. Selon ce qu’on a su, elle a eu à endurer d’autres malheurs et a fini sa vie comme une vagabonde.
Référence : Sylvia M. Van Kirk, Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval.
Pour faire suite : Aurait-elle connu un meilleur sort si la compagnie avait accepté de modifier son règlement afin qu’elle puisse rester en Amérique? On peut supposer que oui, si on compare les mœurs libres de l’époque en Amérique avec les mœurs puritaines en Angleterre. Tout un fossé les séparait.
Note : Merci à Janet La France, généalogiste à la Société historique de Saint-Boniface, au Manitoba, qui m’a mis sur cette piste.
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